Sensibilisation [feat Anthonio Capuani]

J'inspire profondément, debout en face de la porte. Je suis ici pour une affaire de brimades entre étudiants. Un jeune humain a fini à l'hôpital la nuit dernière, rien de particulièrement grave, mais c'est la première fois que les brutes s'en prennent à lui physiquement. On m'a donc nommé pour passer dans les classes afin de procéder à une sensibilisation...et si possible de repérer les étudiants potentiellement violents. J'avoue ne pas comprendre ce que je fais ici à cette heure-ci, la culpabilité des vampires dans cette histoire ne fait pourtant aucun doute! Les êtres humains ne sont pas capables de ce genre d'atrocités...en général. Mais il est vrai qu'une petite sensibilisation ne peut pas faire de mal. J'entre enfin dans la salle et me place devant les quelques élèves avec un sourire. L'université...j'en suis sorti il y a un moment maintenant. Mais ces étudiants là sont loin de la fin de leurs études, ça c'est sûr...au moins les étudiants en médecine comprennent rapidement quand on leur parle. Ça ne devrait pas prendre longtemps.

- Bonjour à tous. Je suis Ange Maray, assistant social. Je suis ici pour vous parler de quelque chose d'important, quelque chose que vous pourrez être amené à vivre ou à voir que ce soit dans le cadre professionnel comme privé. Je parle bien entendu du harcèlement.

Je gigotais quelques instants sur ma chaise, mal à l'aise. Le professeur nous avait annoncé quelques minutes plus tôt qu'un assistant social allait passer pour nous parler d'un sujet en particulier. Des brimades, en fait. Et j'avoue que ça me stressait un peu. C'était le genre de choses dont je détestais parler. Pas que je subissais des brimades, au contraire, je pense que j'étais plutôt aimé, mais ça me rendait nerveux.

L'assistant social entra finalement dans la salle et je me mordis la lèvre dans un tic nerveux tout en baissant le regard. Quoiqu'il se passe, j'espérais qu'il ne m’interrogerais pas.

— Bonjour à tous. Je suis Ange Maray, assistant social. Je suis ici pour vous parler de quelque chose d'important, quelque chose que vous pourrez être amené à vivre ou à voir que ce soit dans le cadre professionnel comme privé. Je parle bien entendu du harcèlement.

Je murmurais un vague « Bonjour » en cœur avec les autres étudiants.

Les étudiants me répondent tous en cœur. Je pose ma veste et ma mallette sur la table du professeur et fait rouler un instant mes épaules avant de m'avancer vers eux. Ce n'est pas une amphithéâtre, il n'y a qu'une trentaine d'élèves ici, qui me fixent l'air de dire "Quoi, un assistant social? Je vaux tellement mieux, moi l'étudiant en médecine!". Je souris car je sais que je vais les intéresser plus que ce qu'ils s'imaginent.

- Vous avez forcément déjà entendu parler du harcèlement. Vous l'avez peut-être même déjà vécu ou avez assisté à une scène le laissant présager. Peut-être même avez-vous déjà réagi contre ça, qui sait? Aujourd'hui je viens parler à de futurs médecins, qui se retrouveront forcément un jour ou l'autre confrontés à un patient dont les blessures laissent entendre qu'on a levé la main sur lui.

Je souris un peu.

- Enfin...pour ceux qui survivront à la première année...

C'est si facile de faire réagir des étudiants en médecine...

J'observais timidement l'homme se déplacer parmi les tables, l'allure confiante et posée. Je l'enviais d'être ainsi. Moi j'aurais eu les jambes tremblantes et la gorge sèche à sa place.

— Vous avez forcément déjà entendu parler du harcèlement. Vous l'avez peut-être même déjà vécu ou avez assisté à une scène le laissant présager.

Oh, oui. Bien trop de fois même. Dans ces moments-là, je me sens tellement mal pour la personne qui subit ça, que j'ai presque envie d'être à sa place. Presque.

— Peut-être même avez-vous déjà réagi contre ça, qui sait ?

Je pince mes lèvres et baisse mon regard sur mes mains posées sur mes cuisses, légèrement honteux. Jamais. Pas une seule fois je n'ai réagi. Je suis bien trop lâche pour oser me mesurer aux autres. Et puis, j'ai bien trop peur de ne faire qu'empirer les choses. J'ai toujours tendance à mettre les pieds dans le plat.

L'homme continue son monologue mais je ne l'écoute plus, bien trop distrait. Je reprends le fil de la conversation en entendant des étudiants grogner ou jurer tout bas. Qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai loupé quelque chose d'important ? Merde, c'est pas le moment de se perdre dans ses pensées..

- Ah mais rassurez-vous! Je ne vous prendrai pas trop de votre précieux temps. Bien, qui peut donc me parler de sa réaction, en tant que médecin, s'il se trouve face à une personne blessée car harcelée?

Je regarde autour de moi. Quelques mains se lèvent, certains prennent la parole sans demander. Je me tourne vers ce garçon qui a l'air de ne rien écouter depuis tout à l'heure.

- Toi peut-être?

Je sursautais en comprenant que c'était à moi que parlait l'assistant social. Je lui jetais vainement un regard suppliant, espérant qu'il interroge quelqu'un d'autre, bien que je savais que c'était totalement ridicule de songer un instant qu'il le ferait. Tous les regards étaient tournés vers moi et j'eu une furieuse envie de rougir. Je réprimais tant bien que mal la bouffée de chaleur et je pense que je réussi plutôt bien parce que je ne sentis pas mon visage chauffer. J'ouvris la bouche avant de la refermer, ne sachant que répondre. Je tritura timidement mes doigts pour me donner du courage.

— Mmh.. Je serais doux avec elle, balbutiais-je, J'essaierais de ne pas parler trop fort, de dire des mots gentils pour la réconforter.. Peut-être de lui demander l'autorisation à chaque fois que je veux la toucher ? hasardais-je.

- Oui, c'est une bonne idée de marche à suivre. Cependant je parlais plutôt d'un point de vue légal. Qui appelleriez-vous?

Je continue de me promener entre les étudiants. J'ai encore choisi un grand timide pour répondre devant tout le monde! Décidément, je sais les repérer! Mais sinon il serait resté sans parler pendant toute la sensibilisation, ce qui n'aurait pas vraiment eu de sens...et mon boulot reste, en principe, "aider les gens". Alors je suis un peu là pour ça aussi!

Cette fois-ci, je ne peux m'empêcher de rougir alors que quelques étudiants rient doucement. Mon voisin de table me regarde, un sourire goguenard aux lèvres, et les miennes s'étirent en une moue boudeuse. C'est bon, je sais bien que je dis toujours n'importe quoi, pas besoin de me regarder comme ça. Je me tourne à nouveau vers l'assistant social pour lui répondre mais celui-ci est déjà reparti se promener entre les tables. Je sens mon voisin qui est secoué par rire à peine contenu et quelque part, je me sens légèrement vexé. Ce que j'ai dis n'était pas totalement dénué de sens, non ?

- Vous serez principalement confrontés à des situations de harcèlement physique, en tant que médecins, à moins que vous n'alliez jusqu'en psychiatrie. Cependant il existe aussi...

Je me retourne et pointe du doigt le voisin moqueur du grand timide.

- ...le harcèlement moral!

Je sursaute et tous les regards se tournent vers nous, pour la deuxième fois en quelques minutes. Je me tourne vers mon voisin qui a blêmi légèrement. Je lui offre un sourire contrit, comme si c'était moi qui m'était moqué de lui. C'est plus fort que moi, je ne suis plus du tout fâché. Disons que le fait qu'il soit mal à l'aise en ce moment le pardonne. Je repose mon regard sur l'assistant social, étonné et légèrement flatté qu'il ai remarqué la petit moquerie de l'étudiant.

- Ha on fait moins le fier maintenant!

Je souris un peu. Je me prends un peu pour un justicier parfois, je sais que c'est mal...mais en même temps c'est amusant. Et ce n'est pas comme si je cherchais à ce qu'on m'aime. Je retourne vers le tableau, sachant très bien que j'ai enfin l'attention de tout le monde, et j'écris en grand: MORAL et PHYSIQUE. Puis je me retourne vers mon assemblée.

- A votre avis, ces deux sortes de harcèlement sont-ils dissociables ou indissociables? Est-il possible que le harcèlement moral s'ensuive d'un harcèlement physique ou vice-versa? Et est-ce que le harcèlement physique ne peut-il pas être moral en même temps, avec les répercussions que les blessures peuvent avoir sur la santé mentale du harcelé? Lorsque vous serez confrontés à une personne blessée, vous ne pourrez pas la juger au premier abord: peut-être qu'en fait c'est un pourri, et qu'il a bien mérité ce qui lui arrive. Cependant votre devoir restera de le protéger, seule la justice est en mesure de choisir qui du harceleur ou du harcelé a raison. Vous, vous serez le garant de la protection physique ET morale de votre patient, peu importe qui il est.

Je me retourne à nouveau vers le tableau et trace un trait de liaison entre les deux mots.

- PHYSIQUE et MORAL sont indissociables.

J'écoutais maintenant attentivement l'assistant social. Tout ce qu'il disait sonnait juste à mes oreilles. Je ne pensais pas que sa visite serait si intéressante. J'avais presque envie de parler, de me mêler à la conversation, mais je ne savais pas quoi dire. À coup sûr, j'allais mettre les pieds dans le plat. C'était un cercle vicieux.. Je stressais, je disais n'importe quoi, ce qui me stressait à nouveau.. Et ça n'en finissait pas.

Je me tournais vers mon voisin de table. Il était affalé sur sa chaise, comme s'il boudait. Je souris, amusé. Il du le remarquer puisque qu'il se tourna vers moi. Je reportais aussitôt mon attention sur l'assistant social, légèrement embarrassé. L'homme avait fait un trait d'union entre les mots « Physique » et « Moral » au tableau. C'était chouette d'avoir un petit schéma pour s'en rappeler. J'avais du mal avec les longs textes, alors tout synthétiser ainsi m'aidait énormément. Une question me vint à l'esprit sur un point que l'on n'avait pas encore abordé et je me demandais si j'avais le droit de la poser. Et si il avait justement prévu d'en parler après ? J'aurais l'air bête.. Enfin, s'il n'en parle pas, je le serais encore plus..

Je levais timidement ma main en espérant qu'il me remarque.

Je m'arrête en remarquant la main levée. Tiens? Mon grand timide, ça pour une surprise!

- Oui?

Je m'approche un peu de sa table. Ces personnes ont toujours des choses intéressantes à dire, c'est d'ailleurs pour ça qu'elles ne parlent pas: il n'y a que les cons pour prendre la parole, malheureusement.

— J-je.. Enfin, je ne sais pas si vous allez en parler après m-mais..

Je repris mon souffle, les joues légèrement roses, et me fustigeais mentalement de prendre autant de temps juste pour poser une petite question de rien du tout. Je n'aimais pas parler devant tout le monde et comme un idiot, je tournais autour du pot alors que si je faisais simple et court, ce serait bien plus rapide.

— Comment sommes-nous censés réagir lorsque quelqu'un subit des brimades ? Je veux dire.. Quelle est la meilleure manière pour.. mmh.. éviter tout conflit et ne pas aggraver les choses... Et aussi, sans nous même être harcelé par après..

Je grattais nerveusement la peau autour de mes ongles, le regard baissé vers mes mains.

Wah, quel effort surhumain venait-il de faire simplement pour prononcer quelques mots?? Je souris un peu. Bon...on va éviter de le casser pour le moment...

- En effet j'allais en parler...mais je peux en parler maintenant aussi. Lorsque vous comprendez que quelqu'un subit du harcèlement, que ce soit dans le cadre professionnel ou privé, que ce soit un patient ou un collègue, vous pouvez appeler ces numéros.

Je me retourne vers le tableau et écrit deux numéros.

- Le 119 pour Enfance en Danger. Le 3020 pour Stop Harcèlement. Ces numéros sont anonymes, efficaces, ouverts 24h/24 et 7j/7. Ce sont des professionnels comme moi qui vous écoutent, vous expliqueront la démarche à suivre, et interviendront si nécessaire. Sachez que la justice peut être saisie dans les cas les plus graves. Le harcèlement au travail, le harcèlement sexuel, l'abus de pouvoir etc. sont des délits et des crimes punis par la loi. On peut également intervenir en cas de harcèlement domestique.

Je soupirais de soulagement en comprenant que ce que j'avais dit n'était pas totalement bête. Je retournais timidement son sourire à l'assistant social et écoutait attentivement ses explications. C'était rassurant de savoir que l'on pouvait appeler quelqu'un dans ces cas-là. Je pouvais aider sans avoir peur, tout en étant guidé. Je notais rapidement les numéros sur une feuille pour ne pas les oublier. Pour finir, j'étais plutôt content que quelqu'un vienne nous parler du harcèlement. Pouvoir lui poser les questions qui nous trottent dans la tête, être rassuré, apprendre comment aider les gens,.. Ce dernier point était primordial pour moi. J'avais toujours voulu aider les autres, mais entrer dans le monde du social était totalement au-delà de ma portée. J'étais trop timide, trop peureux, trop fragile. Alors j'avais opté pour le monde de la médecine. C'est vrai que je devais quand même avoir des contacts avec les autres, mais c'était différent. Ça me semblait moins insurmontable. Peut-être parce que j'aurais quelque chose pour m'occuper et que je ne devais pas simplement communiquer avec la personne ? Oui, c'était sûrement ça.

- Cependant si vous vous retrouvez face à une personne harcelée, il est évident que vous ne devez pas la laisser seule pour téléphoner dans votre coin et revenir tout sourire en prétendant que vous aviez une urgence. Les personnes harcelées ont besoin de tout le soutien et toute l'attention possible, la plupart du temps. Ne l'étouffez pas de questions, dites-lui simplement que vous êtes là s'il a besoin de parler, et que s'il ne veut pas vous en parler à vous, il y a des numéros pour ça, des professionnels, qu'il faut aussi se confier à ses proches. Cependant si vous voyez que rien ne se fait, appelez anonymement le 3020. Mais gardez bien à l'esprit que l'idéal est qu'il aille en parler de lui-même. Et ne laissez jamais une personne harcelée seule trop longtemps, dans la mesure du possible. Si c'est un proche, envoyez-lui des messages, sortez un peu plus avec lui...si c'est un patient bien entendu c'est plus délicat, je vous conseille donc d'en parler à ses proches de confiance, bien entendu si une femme se fait battre par son mari évitez de demander au mari de faire attention à elle. Ca paraît idiot mais on est jamais à l'abris de ce genre d'idioties.

Je tiquais à sa dernière phrase. C'est bien le genre de choses que je serais capable de faire.. Au plus j'écoutais l'assistant social, au plus je me rendais compte que prendre soin d'une personne harcelée devait vraiment être difficile. Avoir la bonne attitude, les bons mots, les bons gestes. Il fallait faire attention à tout, envisager le pire, comprendre les non-dits. J'avais du mal à comprendre ce qu'on ne me disait pas tout haut. Je ne me comprenais déjà pas moi-même, alors essayer de comprendre les autres était épuisant. Et totalement impossible pour moi. Peut-être qu'il y a une technique pour réussir et que je n'ai pas la bonne ? Est-ce même possible de la trouver ?

Pour la deuxième fois de la journée, je levais la main, étonné de ma propre audace.

Surpris, je fixe un instant le grand timide pas si timide. Est-ce qu'il ne serait pas simplement en train de se foutre de moi en me disant que je ne suis pas clair? Non, je ne pense pas...mais quand même.

- Oui?

Je tripote nerveusement ma manche tandis que l'homme me fixe. Est-ce que j'ai fais quelque chose de mal ? Peut-être que je n'aurais pas du l'interrompre une nouvelle fois.. Mais comme d'habitude, je me fais des films tout seul et il me donne la parole. Je soupire doucement de soulagement.

— Comment faire lorsque la personne qui se fait harcelée refuse d'en parler ?

Je crois que je me sens un peu plus à l'aise. J'ai réussi à dire quelque chose de cohérent sans bégayer. Incroyable.. Je ne pensais pas que c'était possible. Je fis une grimace imperceptible, me moquant de moi-même. Voilà que je faisais de l'ironie, maintenant. J'ai du manger quelque chose d'étrange ce matin..

- Excellente question!

Je me remets à marcher à travers la salle.

- Sois plus précis dans ce cas. Si elle refuse d'en parler comment se fait-il que tu sois au courant? Est-ce un proche qui t'en as parlé? Dans ce cas tu dois encourager ce même proche à pousser le harcelé à se confier. Tu as vu des marques sur son corps? Ça va au pénal directement, tu n'as pas le temps d'attendre qu'il se confie. Tu l'as deviné? Sois plus précis, toujours plus précis, comment as-tu pu le deviner? En es-tu vraiment sûr? Il ne faut jamais juger un patient au premier abord, est-ce que c'est simplement son air de victime qui t'a poussé à te faire des films? Ou son regard fuyant? Sois toujours sûr et certain de ce que tu avances. Et quand tu en es sûr mais qu'il refuse d'en parler, donne-lui les numéros importants, encourage-le à aller parler à quelqu'un. Peu importe que ce soit toi ou quelqu'un d'autre! L'important c'est le résultat, et si toi tu ne connaîtras jamais son histoire peu importe. Tu dois le sauver en le faisant arrêter. Le mieux à 100% c'est qu'il fasse les démarches lui-même, cela voudra dire qu'il a compris que ce qui lui arrive est grave et qu'il agit en fonction de ça. Mais trouve le juste milieu, si tu sens qu'il est au bord du suicide ou si il revient trois jours de suite pour des nouvelles blessures soit cohérent: appelle quelqu'un.

Je souris, les joues légèrement roses d'avoir été complimenté, avant d'écouter attentivement tout ce que le blond disait. Effectivement, ma première impression était juste. S'occuper d'une personne subissant des brimades est éprouvant à la fois pour la personne, mais aussi pour son ami, proche ou même médecin. Ça a l'air d'être très épuisant moralement pour les deux partis. J'espère ne jamais devoir m'occuper d'un cas de ce genre, parce que je ne pense pas que j'arriverais à gérer. On doit se poser tellement de question, prendre des responsabilités et surtout, agir dans l'incertitude.. J'ai besoin de concret, d'être sûr de moi. Sinon, je deviens nerveux et je ne fais qu'aggraver les choses. Dans le feu de l'action, j'ai tendance à agir sans me prendre la tête et à laisser mon corps me guider, mais lorsque je dois essayer de comprendre par moi-même quelque chose d'implicite, j'ai du mal. C'est peut-être pour ça que je suis toujours à côté de la plaque lorsque quelqu'un fait des sous-entendus ou qu'il blague..